Appel à communicationsJusqu’à l’arrivée de divers moyens de locomotion modernes, il n’existait pas, nous dit l’historien Joseph A. Amato, « d’alternative à la marche pour la grande majorité des gens ». La nécessité de se déplacer à pied ne semblait guère négociable. Considérée dans sa longue durée, des pistes marchandes aux chemins militaires, des pèlerinages anciens aux randonnées contemporaines, la marche est « constamment réinvention d’une tradition pédestre » : des bergers et colporteurs alpins aux communautés de compagnonnage, des caravaniers Touaregs aux Samis, en passant par certaines tribus indiennes comme les Sioux, il est ainsi des peuples, des pratiques et des métiers, souligne Antoine de Baecque, « dont l’identité même est pédestre ». Qu’en est-il de l’Asie de l’Est, qui connut selon les régions une entrée relativement tardive dans la modernisation de certains modes de déplacement ? Dans quelle mesure cette « machine animale » de la locomotion terrestre, décrite par le physiologiste Étienne-Jules Marey, participait à tisser, peut-être plus souvent qu’on ne le pense en foulant du pied chemins, routes et pistes, le remarquable réseau terrestre domestique et interrégional est-asiatique ? Les contributions tiendront bien sûr compte de la quasi indispensable participation des animaux dans les mobilités humaines. Mais chameaux, mules et chevaux jusqu’à la fin de l’empire en Chine portaient, dans beaucoup de cas, moins les hommes que leurs biens sur divers terrains montagneux, steppiques, désertiques, mais aussi urbains ; arpenteur de la bien et mal fréquentée route du Tōkaidō, Bashō, invite dans ses poèmes du xviie siècle à « ne pas monter à cheval, mais marcher en s’appuyant sur son bâton ». Comment l’étude de l’espace, des itinéraires, des étapes (caravansérails, auberges, refuges) peut-elle également servir d’indices, de traces, de points de repère pour prendre le contrepied de certains clichés ou paradigmes à réviser, notamment en termes de territorialités et de réponses – souvent locales et non étatiques, surtout près des zones frontières ou reculées – aux problèmes de sécurité ? Ce colloque, résolument interdisciplinaire, voudrait emboîter le pas des « marcheurs » est-asiatiques, revisiter la science, ou l’art, du déplacement pédestre à la veille des grands processus de modernisation. On explorera ainsi les dimensions sociales et techniques de multiples formes de « mises en marche », dont certaines décisives dans le fonctionnement des sociétés, pour l’approvisionnement des villes et des lieux reculés. Il s’agira de (re)voir dans quelle mesure les modes et les raisons de se déplacer se sont complexifiés à travers une impressionnante diversité de phénomènes, au sein desquels l’on a pu avoir coutume de confondre, de faire s’imbriquer ou au contraire d’opposer les catégories sociales, les pratiques et les métiers : sédentarité et nomadisme, marches guerrières et brigandes, commerciales et migratoires, exploratrices et colonialistes, d’exodes et d’exils, pèlerines et processionnaires. Au tournant du xxe siècle, la marche perd une partie de ses « professionnels », mais se charge d’une symbolique puissante, avec les marches politiques (Longue Marche), revendicatrices ou dé-colonialistes (Marche du Sel), inspirant les actuelles « manifestations ». Sans oublier la randonnée, traduite différemment en langues asiatiques, mais désignant étymologiquement le fait de traquer un animal à pied. L’on ne saurait ainsi se priver de poser sous cet angle diachronique la question très large de savoir comment « marchent », au sens propre comme figuré, les différentes sociétés asiatiques d’hier et d’aujourd’hui. Dans l’esprit de poursuivre une dynamique déjà bien amorcée et généreusement dotée d’observations fines des peuples marchands, nomades et éleveurs asiatiques, ce colloque s’articule ainsi autour de deux axes : traces et techniques. Il s’agira d’éclairer petites et grandes circulations à la lumière de diverses vies sociales pédestres dans ce qu’elles ont de plus de banal, de plus quotidien : elles seront saisies « au ras du sol » comme on dit en microhistoire. Une telle approche devrait nous inviter à réfléchir sur les pratiques d’individus, la composition sociale et l’organisation interne des communautés, et par là même sur comment elles s’organisent autour d’un « ensemble de techniques » pédestres, c’est-à-dire des « actes traditionnellement tenus pour efficace » au sens où l’entendait Marcel Mauss dans ses travaux sur les techniques du corps. Une attention complémentaire sera également portée à la culture matérielle relative aux différents phénomènes de la marche. On se (ré)intéressera surtout à la Corée, au Japon, à la Mongolie, à Taiwan, à la Chine et à ses marges occidentales, Tibet et Xinjiang. Des contributions comparatives avec l’Inde, l’Asie centrale, et le Sud-Est, comme entre autres l’Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam, le Cambodge et le Laos, seront également les bienvenues. Bergers, caravaniers, contrebandiers, brigands, escorteurs, chasseurs, courtiers, colporteurs, postiers, haleurs, coolies, pèlerins, missionnaires jésuites, soldats, mercenaires, pionniers, scientifiques, explorateurs, charlatans, saltimbanques, artisans et artistes itinérants, porteurs sur chaises et palanquins, porteurs et guides sherpas et bien d’autres, seront ainsi autant de groupes et de pratiques à discuter.
Modalités de soumission des propositions : Les participants sont invités à proposer des études qualitatives en histoire, anthropologie, sociologie, philologie, géographie et archéologie, couvrant, sans exclusive, la période moderne (env. xve-xxe siècle) et contemporaine (xxe siècle à nos jours). Des contributions comparatives avec des régions extra-asiatiques et/ou à des époques plus anciennes seront également les bienvenues. Les propositions seront accompagnées d’un titre, d’un résumé (500 mots maximum) et d’une courte bio. Afin de permettre aux participants d’organiser leur venue à Bordeaux suffisamment en avance, les résumés seront lus au fur et à mesure de leur réception. Nous vous invitons à envoyer vos propositions de contribution avant le vendredi 31 mai 2024 à l’adresse suivante : laurent.chircop-reyes@u-bordeaux-montaigne.fr
Attendus scientifiques et pédagogiques : Le colloque envisage un appel à communications international. Les communications pourront donc, au choix, être présentées en français (avec si possible un PowerPoint en anglais pour les collègues internationaux) ou en anglais. Dans une perspective pédagogique l’événement s’engage à inviter un public étudiant (Licence et Master). Les présentations des jeunes chercheurs (doc et post-doc), ainsi que leur implication dans l’animation des ateliers, seront les bienvenues. Un projet de publication sous la forme d’un ouvrage collectif (bilingue français/anglais) est envisagé aux Presses Universitaires de Bordeaux à l’horizon 2025.
Appel à propositions d’ateliers : Des propositions d’ateliers sont encouragées, notamment en lien avec les thématiques suivantes :
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